Interview - Éric Delemar, Défenseur des enfants

Interview - Éric Delemar, Défenseur des enfants

Éric Delemar, diplômé d’ASKORIA en 1997 et en 2006, nous raconte son parcours dans le domaine de la protection de l’enfant. Il a fait du respect des droits pour les personnes les plus vulnérables - notamment pour les enfants - son cheval de bataille. A un tel point que sa carrière a pris un tournant inattendu au sein de l'institution du défenseur des droits.

 Bonjour Monsieur Delemar, pouvez-vous décrire votre situation professionnelle actuelle ?

L'institution du défenseur des droits existe depuis 2011 et est représentée par Claire Hédon qui a été nommée en juillet 2020 pour une durée de 6 ans. Dans ce cadre, elle a constitué une équipe d'adjoints où j’ai été nommé par un décret du Premier Ministre pour être Défenseur des Enfants pendant six ans. Claire Hédon est la première femme a être Défenseure des Droits et je suis le premier homme a être Défenseur des Enfants.

Nous sommes une institution qui agit pour la défense des droits et libertés, c’est-à-dire que nous agissons dans 5 domaines :
- dans les relations des usagers avec les services publics ;
- pour la lutte contre les discriminations ;
- pour le respect de la déontologie dans les gendarmeries ;
- pour la protection et la réorientation des lanceurs d’alertes ;
- et pour la défense et la promotion des droits de l’ enfant, qui est ma mission

Nous avons plus de 250 juristes et 530 délégués sur l’ensemble du territoire pour mener à bien nos missions. Nous recevons environ 150 000 saisines par an dont 100 000 qui vont amener le défenseur des droits à se positionner (de façon amiable ou autoritaire). On a un vrai pouvoir d’enquête, comme je peux être amené à me déplacer dans une prison pour mineurs. On peut faire des propositions de loi au parlement, des observations à la justice et surtout s’auto-saisir, par exemple s’il y a eu un non-respect des droits avec de graves conséquences (décès d’un enfants, accidents,...). Le Défenseur des droits est une autorité administrative indépendante, inscrite dans la constitution. Notre mandat est pour 6 ans, nous sommes irrévocables et notre mandat n’est pas renouvelable, et ce afin de garantir notre indépendance. 

Qu’est-ce qui vous a conduit à travailler dans le champ de l’intervention sociale ?

Au début des années 90, pour payer mes études à la fac, j’ai travaillé dans l’éducation nationale, j’ai été surveillant durant plusieurs années. De belles années où en tant que « maitre d’internat » je faisais également de l’animation et aussi de la musique. D’ailleurs, avec des lycéens, nous avions monté un groupe de musique et étions allé enregistrer en studio. A l’époque le service militaire était encore obligatoire et j’avais alors souhaité faire un service civil, que j’ai réalisé dans un institut médico-éducatif pendant six mois. Cela m’a tellement plu que je me suis présenté aux concours à l’IRTS de Bretagne (qui est ASKORIA aujourd’hui) et je suis ainsi devenu éducateur spécialisé. Très vite, je me suis intéressé à la question de la protection de l’enfance pour devenir en 2001 chef de service et en 2010 directeur d’établissement.

L’année dernière, en septembre, j’ai eu un coup de fil de Claire Hédon qui s’intéressait à mon profil pour devenir Défenseur des droits de l’enfant. Au début j’ai pensé à une blague, surtout lorsqu’on m’a dit :

“ Vous avez 48h pour vous décider, puis je propose au premier ministre"

Le changement de vie est radical, d’abord vous êtes sidéré, très heureux que l’on est pensé à vous, puis vient très vite le sens de la responsabilité inhérente à un tel poste. C’est quelque chose que par définition  on ne prévoit pas, on ne peut pas se dire “je vais faire ça quand je serai plus grand” puisqu’il y a qu’un seul Défenseur des Enfants. Et me voilà à ce poste depuis novembre 2020.

Et… Pourquoi vous ?!

Vous vous doutez bien que je me suis posé la question ! Je pense que Claire Hédon a entendu parler de moi à ATD Quart Monde où elle a été présidente de 2015 à 2020. Aussi, j’imagine que le fait d’avoir créé une formation où des parents d’enfants confiés se retrouvaient formateurs de par leur vécu, avec des professionnels - pour leurs savoirs universitaires. Il y a eu d’autres implications dans des projets tout au long de ma carrière, comme en tant qu’adhérent du GEPSo. Je pense que Claire Hédon voulait quelqu’un qui certes a une vision globale notamment à travers un poste de directeur, mais surtout quelqu’un qui venait du terrain.

Que retenez-vous de votre parcours de formation ou de votre accompagnement VAE à ASKORIA ?

 - Un mot-clé ? Parcours. Depuis que j’ai mis les pieds à ASKORIA pour la première fois, j’ai réalisé quatre jobs et à chaque fois j’ai été ramené à cette école ! En tant qu’étudiant, éducateur, chef de service, puis intervenant et aujourd’hui partenaire. ASKORIA est là à chaque moment de mon parcours, depuis 17 ans.

 - Un fait marquant ? En pleine fête de la musique en 1997 où on a joué dans le hall d’ASKORIA ! L’ambiance était au rendez-vous, c’était pas prévu, les instruments dans les voitures, l’époque peut-être un peu moins conventionnelle.

 - Une anecdote ? Justement, l’ambiance et les rencontres.

 - Un bon ou un moins bon souvenir ? J’ai jamais été forcé de quoi que ce soit, je n’ai pas de mauvais souvenirs (tout simplement).

 - Quel en a été l’impact sur votre trajectoire professionnelle ? Ça a toujours été pour moi un lieu d’action - réflexion.

Si vous deviez décrire ASKORIA en 3 mots ou idées ?

 Tout d’abord formation de terrain, solidarités et recherche.

 Quels conseils donneriez-vous à un étudiant/stagiaire/candidat VAE, ou à un futur étudiant/stagiaire/candidat VAE s’orientant ou évoluant dans les métiers de l’intervention sociale et des solidarités ?

De façon générale, je dirais qu’aujourd’hui les formations souffrent d’un manque de contenu en matière de droit, de sciences humaines et d’expression artistique. Je trouve que ça manque d’ouverture culturelle. De lutter contre le poids des technostructures, de ne pas devenir des techniciens de l'organisation mais rester tout simplement des praticiens.

Quels sont aujourd’hui vos projets professionnels, vos aspirations ? Qu’est-ce qui vous anime, vous motive ?

Ce qui est inquiétant dans cette période de crise, c’est l’augmentation de la pauvreté et l'écart à l’accès aux droits et ce, à tout âge. Ce qui m’anime c’est donc de garder une approche par les droits et faire en sorte qu’ils soient respectés pour les personnes les plus vulnérables. Il faut aussi mieux former les gens, non pas sur la gestion des organisations mais surtout sur les sciences humaines et la transmission.

Pour vous, que représente le réseau des alumni (anciens diplômés) d’ASKORIA et de ses différents établissement fondateurs ?

Il n’est pas question d’être dans la nostalgie mais je croiserais volontiers des anciens. Ce qui est important c’est surtout de placer ASKORIA comme un lieu de formation, de recherche et de transmission intergénérationnelle des savoirs grâce au réseau d’anciens et d’étudiants.

Enfin, de façon générale, pour vous, les « solidarités », c’est quoi ?

Je crois que les solidarités c’est tout sauf l’assistanat. Les solidarités vont permettre d'élever, au sens noble, la condition de chacun : la condition de savoir, de culture, de bonheur. Aujourd'hui il ne peut y avoir de solidarité sans rapport à l’écologie, dans le sens de prendre soin de ce qui nous entoure et de l’esthétisme. Un des vrais enjeux aujourd'hui, c’est que les crises vont exiger de mettre la santé avant l’économie.  En cette période de crise sanitaire, nous assistons à une maladie de l’enfermement. Nous enfermons les cas COVID, les cas contacts, et les tous les autres…(fermetures des écoles…). Nous vivons une crise du lien social. Il n’est pas étonnant que la souffrance psychique, la santé mentale n’ont jamais été autant d’actualités. Les solidarités c’est comment élever le niveau de la culture et l’esthétisme du vivre ensemble.

Vous souhaitez en apprendre davantage sur le parcours d'Éric ? Envoyez-lui un message depuis son profil ! https://askoria.datalumni.com/profile/42900

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